Les photographies de Marta Sentís sont une affirmation de son indépendance, mais aussi un miroir d’elle-même, de sa curiosité envers d’autres modèles de vie, de sa recherche de scènes et de gens qui l’éloignent des milieux sociaux dans lesquels elle a grandi. Elle passe son enfance entre Paris, Barcelone, Oxford et Florence, puis elle part travailler quelques années à New York, où elle fréquente le monde artistique du SoHo, le quartier qu’elle habite. De retour à Barcelone, elle rejoint ceux qui, comme elle, se rebellent contre la domestication et participent au mouvement underground, libertaire et contre-culturel de la fin des années 1970.
Au cours de ces années, elle commence à voyager à travers le monde pour réaliser des reportages ou documenter des projets de l’ONU. Petit à petit, elle choisit de plus en plus les lieux qu’elle visite, elle y prolonge ses séjours et vit avec des gens dont le rapport intense à la vie échappe aux paramètres occidentaux du bien-être économique et de la consommation. Des gens qui, comme elle aime le souligner, « ont le temps ».
Ses photographies montrent progressivement la complicité qu’elle établit avec différents groupes sociaux et sa volonté résolue d’appartenance. Elle refuse de mythifier l’exotisme et se concentre sur le métissage culturel qui existe sur tous les continents. Ses voyages n’ont rien à voir avec la recherche d’un paradis perdu, ni avec l’utopie du bonheur associée au primitivisme. Ce dédain pour les textures de l’exotisme se traduit par une iconographie alternative qui n’a guère d’équivalents dans la photographie espagnole de ces années-là. Les sublimations du noir et blanc y sont bannies au profit de couleurs vibrantes, le public étant invité à partager des expériences synesthésiques. Toute son œuvre est un imaginaire visuel raconté à la première personne, qui affirme avec force sa volonté de liberté, son désir d’être en pleine possession de ses jours, de sa vie.
Commissaire: Alejandro Castellote
© Marta Sentís, Yemen, 1984